Interview pour la sortie de « L’Aube du Loup »

Le 6 juillet 2025

Puisqu’on ne veut pas m’interviewer… je le fais moi-même ! (Merci l’IA pour la photo ! J’ai pris 15 ans !!)

Fatigué d’attendre que les médias nationaux, régionaux, ou même la gazette du village m’appellent pour parler de La Vallée des Destins, j’ai décidé de prendre les choses en main.
J’ai donc donné une interview exclusive à… Antoine Pardus-Grant (oui, ne cherchez pas, c’est une anagramme de quelqu’un de très célèbre, mais chut !), journaliste vedette sur Frange Tulcure et présentateur de la mythique émission « La petite Bouquinerie » sur Périgord 5.

Antoine Pardus-Grant
Vous ouvrez La Vallée des Destins sur ces mots : « Si vous lisez ces lignes, c’est que les loups, finalement, ne m’ont pas entièrement dévoré… Ou peut-être est-ce justement parce qu’ils m’ont tenu compagnie… »
François Dauphin, écrire, est-ce d’abord une manière de dialoguer avec ses propres loups, de conjurer la disparition, ou de retrouver l’enfance perdue dans la nuit du Périgord ?
François Dauphin
Écrire, pour moi, c’est effectivement composer avec la meute de mes loups intérieurs : peurs, obsessions, souvenirs, mais aussi cette énergie brute qui me pousse à donner corps à ce qui pourrait s’effacer. J’ai grandi dans l’ombre de ces pierres et de ces ruines, à Gammareix, à inventer des mondes avec mes cousins, à transformer le portique en château, à jouer au chevalier dans la boue, le jus de fraise pour sang, les rêves pour armure. Les loups, ce sont mes peurs : peur de ne pas transmettre, peur de voir disparaître ce qui m’a construit, peur de n’être qu’un témoin impuissant de l’effacement. Mais ils sont aussi mes alliés : ils me rappellent que la mémoire est vivante, qu’elle doit être nourrie, réveillée, parfois bousculée. Écrire, c’est donc à la fois conjurer la disparition et retrouver, par la fiction, la force de l’enfance – cette capacité à croire que chaque pierre, chaque arbre, chaque ombre a une histoire à raconter.
Antoine Pardus-Grant
Vous écrivez : « Ce roman n’est pas un exercice d’historien… mais une tentative de redonner vie, chair et sang, à des hommes et des femmes dont les noms se sont perdus… »
La fiction, pour vous, est-elle un moyen de toucher une vérité plus profonde que celle des archives ? Peut-on, par le roman, réparer l’oubli ?
François Dauphin
Je crois que la fiction est un laboratoire de vérité humaine, bien plus que la simple restitution des faits. Les archives disent l’essentiel, mais elles oublient la sueur, la peur, la faim, l’amour, la honte, la dignité des anonymes. J’ai voulu, par le roman, donner une voix à ceux qui n’en ont pas eu, à ces paysans, à ces femmes, à ces enfants dont l’histoire officielle n’a gardé que la trace d’un impôt ou d’un baptême. La fiction me permet d’inventer leurs gestes, leurs regards, leurs silences, et de rendre justice à leur humanité. Je ne cherche pas la vérité factuelle, mais une vérité sensible : celle qui fait qu’on sent la boue sous les pieds, qu’on entend le vent dans la vallée, qu’on partage la fatigue et l’espoir. Le roman, c’est la revanche des oubliés, la réparation de l’oubli, mais aussi la célébration de ce qui, dans l’ombre, a fait tenir le monde debout.
Antoine Pardus-Grant
Vous citez Druon, Follett, Eco, Peyramaure… Comment digère-t-on de telles influences sans perdre sa voix ? Est-ce que l’on écrit pour retrouver un souffle ancien, ou pour s’en affranchir ?
François Dauphin
Ces influences sont mes racines et mon humus. Druon m’a appris la grandeur de la fresque, Follett la puissance de l’architecture narrative, Eco le goût du mystère et de la profondeur, Peyramaure la chair du terroir et la rudesse des vies minuscules. Mais il m’a fallu longtemps pour ne pas me contenter de les imiter. J’ai écrit, réécrit, jeté, recommencé : la digestion des maîtres est un processus douloureux, parfois ingrat. On veut leur ressembler, puis on comprend qu’il faut trahir, s’éloigner, inventer sa propre langue, quitte à décevoir. Ma voix est née de cette tension : un mélange de respect, de gratitude, mais aussi de rébellion. J’espère que le lecteur, s’il en est, sentira, derrière les échos, quelque chose de singulier, une manière de dire la boue, la pierre, la peur, qui n’appartient qu’à moi – ou du moins à ce coin de Périgord qui m’habite.
Antoine Pardus-Grant
Votre Moyen Âge est rude, dense, sensoriel, mais jamais misérabiliste. Comment avez-vous travaillé cette immersion ? Est-ce une manière d’éviter la carte postale, ou de rendre justice à la vie ordinaire ?
François Dauphin
J’ai voulu un Moyen Âge incarné, rugueux, fait de fatigue, de faim, de peur, mais aussi de solidarité, de gestes quotidiens, de petites victoires sur la misère. J’ai passé des heures à relire, à dessiner, à regarder des vidéos sur Guédelon, à chercher la justesse du détail : la couleur de la piquette, la texture de la boue, le bruit de la roue du moulin, la lassitude des mains calleuses. Mais je ne voulais pas d’un tableau noir, ni d’une fresque idéalisée : la vie, même la plus dure, a ses moments de lumière, ses complicités, ses rires volés. J’ai cherché à faire sentir la matérialité du monde, mais aussi la dignité des humbles, la beauté possible d’un geste simple. L’immersion, pour moi, passe par la sensation : si le lecteur sent l’odeur de la terre mouillée, entend la cloche fêlée, alors j’ai réussi.
Antoine Pardus-Grant
Vous racontez avoir “joué à Tetris” avec vos chapitres et vos paragraphes, démontant, réassemblant, jusqu’à trouver un rythme hypnotique. Comment avez-vous trouvé la structure idéale ? Et pourquoi ce choix d’alterner entre puissants et humbles ?
François Dauphin
La structure du roman a été un véritable chantier : j’avais d’abord imaginé une alternance stricte, seigneurs-paysans, mais c’était trop mécanique, trop pesant. J’ai tout démonté, tout remonté, jusqu’à trouver un rythme qui épouse la vie de la vallée, ses saisons, ses silences, ses éclats. Les chapitres courts, saccadés, sont venus d’eux-mêmes : ils permettent de donner la parole tour à tour à ceux d’en haut et à ceux d’en bas, de croiser les regards, de montrer que chaque existence, même la plus humble, pèse dans la balance du destin. J’ai voulu une narration polyphonique, où la grande histoire, quasiment absente, se tisse avec la petite, où chaque voix compte, même si elle n’est qu’un murmure dans la boue. Pour la suite, je me permettrais d’allonger le souffle, de donner plus d’espace à certains personnages : la construction du roman, comme celle du château, évolue avec le temps, s’adapte aux besoins du récit.
Antoine Pardus-Grant
La violence, dans votre livre, n’est jamais abstraite. Vous écrivez : « Le fer incandescent toucha la peau, et l’instant bascula dans l’horreur… Le hurlement qui s’échappa alors de la gorge d’Étienne n’avait plus rien d’humain. »
Jusqu’où peut-on aller dans la représentation du mal sans désespérer du genre humain ? La littérature, pour vous, c’est regarder le mal en face, ou le conjurer ?
François Dauphin
La violence est au cœur du Moyen Âge, mais elle est aussi au cœur de l’humain. Je n’ai pas voulu la fuir, ni la glorifier : je voulais la montrer telle qu’elle est, brute, injuste, parfois absurde, mais aussi révélatrice des failles, des résistances, des solidarités. La scène du fer rouge, par exemple, je l’ai écrite et réécrite, cherchant le point d’équilibre entre la crudité du réel et la pudeur de la fiction. La littérature, pour moi, c’est regarder le mal en face, mais aussi chercher la lumière qui subsiste, même dans la nuit la plus noire. Je ne crois pas à la rédemption facile, mais je crois à la dignité qui survit, à la tendresse qui résiste, à la possibilité de se relever, même brisé. La violence, dans le roman, est une épreuve : elle révèle, elle fracture, mais elle n’anéantit pas tout espoir.
Antoine Pardus-Grant
Plusieurs personnages semblent vous posséder, vous hanter, parfois vous échapper. Comment vivez-vous cette cohabitation avec vos créatures ? Est-ce que l’écriture est, pour vous, une forme de possession ?
François Dauphin
L’écriture, c’est une forme de compagnonnage, parfois de possession, oui. Certains personnages, comme Étienne ou Hélie, m’ont suivi bien au-delà de la page. Ils m’ont volé des nuits, ils ont envahi mes pensées sur la route pour aller au travail, dans les moments de silence. Mais cette possession n’est pas une aliénation : c’est une chance, une manière de vivre plusieurs vies à la fois, de se confronter à ses propres zones d’ombre, à ses regrets, à ses désirs. Parfois, un personnage m’échappe, prend une direction inattendue, me surprend. C’est là que le roman devient vivant, qu’il cesse d’être un plan pour devenir une aventure. J’ai appris à accepter cette part d’inconnu, à la cultiver même : c’est elle qui donne au récit sa densité, sa vérité, sa capacité à toucher le lecteur.
Antoine Pardus-Grant
La question de la bâtardise, de la transmission, de la filiation traverse tout le roman. Pourquoi ce choix de la dualité, du double héritage ? Est-ce une manière de dire que l’histoire se construit aussi sur la marge, sur l’exclusion ?
François Dauphin
La bâtardise, la transmission, la filiation sont au cœur de l’histoire humaine, pas seulement de l’histoire médiévale. J’ai voulu montrer que l’ordre établi, la légitimité, ne sont jamais des évidences : ils sont toujours contestés, fragiles, traversés par la ruse, la passion, la révolte. Le bâtard, dans le roman, c’est la figure de l’inattendu, de l’irruption du possible dans un monde figé. C’est aussi la revanche des exclus, des marginaux, de ceux qui n’ont pas droit à l’histoire officielle. La dualité, le double héritage, c’est la réalité de toute société : il y a toujours des lignes de faille, des zones d’ombre, des héritiers cachés, des filiations secrètes. J’ai voulu explorer cette complexité, montrer que la vie ne se réduit jamais à la loi du sang ou à la lettre du droit.
Antoine Pardus-Grant
La place des femmes, dans votre roman, est centrale. Est-ce un geste de réparation, une volonté de donner voix à celles que l’histoire a trop souvent oubliées ?
François Dauphin
Oui, c’est un geste de réparation, mais aussi de reconnaissance. Les femmes du Moyen Âge ont été les grandes oubliées de l’histoire : elles ont pourtant tenu la maison, élevé les enfants, soigné les malades, résisté à la violence, inventé des stratégies de survie. Je voulais leur donner une voix, une épaisseur, une dignité. Aliénor, Péronne, Clarie, Ermengarde : chacune a sa manière de résister, de s’affirmer, de transmettre. Je n’ai pas voulu en faire des héroïnes idéales, mais des femmes réelles, traversées par le doute, la peur, la colère, mais aussi par la tendresse, la ruse, l’espoir. La fiction me permet de réparer l’oubli, mais aussi de célébrer la force silencieuse de celles qui ont fait tenir le monde debout.
Antoine Pardus-Grant
Après ce travail colossal, ces nuits hantées, ces doutes, qu’attendez-vous de vos lecteurs ? Que souhaitez-vous qu’ils emportent de ce voyage dans la Vallée des Destins ?
François Dauphin
J’aimerais que mes lecteurs, s’il y en a, sentent, en lisant, l’odeur de la terre mouillée, la tension des regards, la fatigue des mains, la violence des passions, mais aussi la beauté fragile de l’espoir. J’aimerais qu’ils vibrent avec mes personnages, qu’ils partagent leurs peurs, leurs colères, leurs joies minuscules. Si le roman leur donne envie de regarder autrement une ruine, un arbre, une pierre, de se souvenir que chaque lieu porte en lui mille histoires, alors j’aurai réussi. Je n’attends pas la reconnaissance, mais le partage : que ce voyage dans le temps soit aussi un voyage vers soi, vers ce qui, en chacun de nous, résiste à l’oubli.
Antoine Pardus-Grant
Il est des romans qui, dès les premières pages, vous saisissent à la gorge par la rudesse de leur souffle, par l’âpreté de leur monde, par la densité d’une langue qui ne triche pas avec la boue, la faim, la peur et la lumière. La Vallée des Destins est de ceux-là. On y entre comme dans une vallée encaissée : d’abord avec prudence, puis, peu à peu, on s’y laisse happer, ballotter, bouleverser.
J’avoue avoir été tour à tour fasciné, ébranlé, parfois révolté par la brutalité d’Hélie, par la violence du temps, mais aussi profondément touché par la justesse de votre regard sur les humbles, par la tendresse qui affleure sous la pierre et la cendre.
Ce premier tome n’est pas une carte postale médiévale, c’est une fresque humaine, vivante, qui ne cherche pas à plaire mais à dire – et c’est là sa force.
François Dauphin, vous signez un roman inaugural qui ne laisse pas indemne. Qu’on l’aime ou qu’on le redoute, il est impossible de refermer La Vallée des Destins sans que quelque chose ait bougé, sans que le froid du Périgord, la sueur des bâtisseurs, la colère des oubliés, ne nous poursuivent longtemps.
François Dauphin
Merci, August.., heu… non Antoine, pour ces mots qui me vont droit au cœur.
Et parce que cette vallée n’a pas fini de livrer ses secrets, j’ai le plaisir d’annoncer à vos lecteurs que la saga ne fait que commencer, le Tome II est prévu en décembre. Rendez-vous sur mon site ou sur les chemins du Périgord ou de Toulouse…
Et à très bientôt pour la suite de l’aventure !

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